Je poursuis une recherche qui use des langages écrits et plastiques.

En voici quelques manifestations :

Jeunes et vieux devant le désir du vivre

Pourquoi considère-t-on si souvent que les plus jeunes d’entre nous font partie, d’une génération sacrifiée, à l’avenir particulièrement sombre ?

 

 

 

La question peut sembler provocante, mais est-ce véritablement au regard des causes légitimes d’inquiétude comme les crises et tensions internationales, les guerres, les délocalisations, le terrorisme, la violence inouïe faite aux migrants et aux plus démunis ? Est-ce véritablement par une conscience vive de la chute de la biodiversité et du bouleversement climatique comme de la stupidité destructrice avec laquelle nos sociétés s’entêtent à poursuivre leur politique, leur mode de vie ?

 

 

 

Sommes-nous tétanisés par trop d’erreurs et de terreur ?

 

Peut-être une partie de nous l’est.

 

Cette incapacité de penser et d'agir n'arrangerait-elle pas particulièrement nos dirigeants ?

 

 

 

Mais aussi, est-ce bien tout ?

 

 

 

Les hommes et femmes qui ont connu la guerre et le nazisme comme seul horizon lorsqu’ils avaient dix ou vingt ans au début des années 40 n’avaient-ils pas des raisons suffisantes, eux aussi, de perdre tout espoir ?

 

On peut se demander pourquoi les souffrances et les peurs légitimes actuelles ne débouchent pas davantage sur un réveil, un engagement, comme ce fut le cas avec la Résistance, le Front Populaire quelques années plus tôt et les mouvements alternatifs quelques années plus tard.

 

 

 

Bien entendu, le détournement de l’idée généreuse du communisme par le bloc soviétique a freiné bien des élans. Les perroquets écervelés du TINA (there is no alternative - il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme) ne se privent pas, depuis, de surfer sur l’échec retentissant de cette sordide politique.

 

 

 

Mais ce n’est pas tout. Je crois que ce récit d’une génération sans avenir n’existe qu’en contrepoint des trente glorieuses. Nous comparons nos difficultés présentes, qu’elles relèvent de l’ennui passager ou de l’horreur, à rien de moins que trente années qui, non seulement dénuées de tout soucis se seraient à chaque fois révélées glorieuses !

 

 

 

Le discours dominant d'une génération à la fois glorifiée dans leur rapport aux nouveaux moyens de communication et continuellement victimisée (leurs bourreaux n'étant pas les mafieux du capitalisme mais le seul aveuglement de leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents) que nous relayons plus ou moins tous, illusionne et empêche l’avènement des nécessaires éclaircissements de conscience pour une représentation de possibilités fertiles.

 

Et pour les mettre en acte.

 

 

 

Nous faisons croire aux plus jeunes que tout était beaucoup plus facile avant. Avant quoi ? Avant eux tout simplement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est pour cela que les dites trente glorieuses peuvent s’étendre, dans un un joli flou, selon le cas, jusqu’aux années 80 ou 2000.

 

Non, la vie n’était pas plus facile. Elle devint, matériellement, plus confortable que dans la première moitié du vingtième siècle, mais elle resta, faut-il le rappeler, plus difficile qu’aujourd’hui.

 

 

 

Par contre il existait une culture partagée de l’espérance. Notamment dans le communisme, au sens de mise en commun.

 

 

 

Chacun le sait, les conditions de vie étaient plus rudes à bien des égards avant. D’ailleurs aucun des jeunes actuels (ou très peu) échangerait son existence contre celle qu’a connue leurs aïeux, notamment dans la première décennie dite glorieuse : pas de téléphone portable, bien souvent pas de téléphone du tout, pas d’internet donc pas de réseaux sociaux, pas de vidéo, pas de photo ou très rarement. Pour la plupart, les trajets quotidiens se faisaient à pied ou à vélo, on lavait le linge (et évidemment la vaisselle) à la main, ce « on » ne désignait que les femmes. Les salles de bains étaient rares, comme le pâte chocolatée à tartiner. Dans bien des milieux on faisait rarement bombance. Les cafés de village et de quartier, que nous regrettons tant, laissaient, j’imagine, une large place aux peu dégrossis forts en gueule. On rencontrait d'importantes difficultés pour se loger. Il n’y avait pas de pilule pour la contraception, la sexualité était un tabou entretenu par une culture de l’ignorance et de l’interdit, permettant, plus encore qu’aujourd’hui l’inceste et les autres formes de viol, d’abus, de déviance ou de maltraitance. Ces agressions et ces crimes étaient souvent largement admis, le droit des femmes encore plus bafoué qu’aujourd’hui. Etc.

 

 

 

Qui regrette cette époque ? Et, si on la regrette - la question a son intérêt - que regrettons-nous précisément ?

 

À la suite de ces trois décennies, sur bien des points, le néolibéralisme généralisé a fait galoper le chômage dans un sens et le droit social dans un autre, jusqu’à la situation actuelle où la démocratie est régulièrement bafouée. Au moment même où nous aurions besoin d’elle pour cesser l’accroissement des désastres humains et écologiques.

 

 

 

Si nous voulons reconnaître que notre monde va mal, si nous en sommes particulièrement inquiets, notamment pour les plus jeunes, alors précisons en quoi. Précisons ce que nous regrettons du passé et ce que nous désirons pour l’avenir.

 

Ce n’est qu’à cette condition que celui-ci s’éclaircira.

 

Pour les jeunes, pour les moins jeunes et pour les autres. Pour les nantis et pour les pauvres. Pour les habitants de tous les continents, urbains ou ruraux, nomades ou sédentaires. Et pas seulement humains.

 

 

 

On verra alors que le désastre est inhérent à la croyance idéologique qui mène le monde, à savoir ce capitalisme avec sa version ultra ou néo libérale.

 

Cette croyance et celle qui lui a permis d’advenir : l’idée qu’une bonne vie est une vie de gagnant

 

Tout se tient là : « soyez un gagnant, vous serez heureux »

 

 

 

Que signifie alors « gagner » si ce n’est « dominer » ses contemporains (comme les générations précédentes disparues, les aïeux, les ancêtres), dominer l’autre, l’autre sexe, l’autre peuple, l’autre religion, l’autre espèce animale (en fait, toutes les autres espèces) ?

 

Baptiste Morizot1 considère que l’humanité (en réalité une frange très minoritaire) a fait sécession avec rien de moins que toutes les autres formes de vie. Pour les ultra-libéraux techno-scientistes, elle a simplement gagné. Sur la terre qu'ils perçoivent en effet comme séparée de l'humain, en tout cas séparée d'eux, comme une ressource. Un environnement en forme de terrain de jeu en somme. Jeu dont la règle implique qu'il y ait beaucoup de perdants (qui méritent leur échec) et peu d’élus (qui méritent leur succès). 

 

Peut-être la sixième extinction de masse est-elle, pour eux, un détail de l’histoire ou une sorte de perte collatérale qu’il faut bien accepter dès lors qu’on s’engage dans une compétition, et dont les conséquences fâcheuses pour l’humanité (du moins l'humanité qui le mérite, cela va de soi) seront réglées par des solutions encore plus technicistes.

 

C’est cela qui, sans surprise, continue de nous mener à l’extinction de masse.

 

 

 

L’identification de ce point et de ses multiples conséquences offre la clé qui manque tant, à nous vieilles et vieux, moins vieilles et moins vieux, jeunes et moins jeunes.

 

 

 

 

 

Et c’est cela que le grand récit de la génération sacrifiée empêche.

 

Dans de très nombreux cas, ce ne sont pas les conditions réelles qui empêchent les changements vertueux mais l’histoire que nous nous en faisons. Jusqu’à ce que la dégradation de ces conditions empêche toute action. Plus nous attendons, plus la souffrance et le gâchis seront immenses.

 

 

 

Veillons donc à ce récit. Soyons vigilants. Vérifions les faits, leurs causes et leurs conséquences. N'hésitons pas à nous demander sur quelle vision du monde ce récit s'est élaboré. Et portons notre attention sur l'issue qu'il propose. Qui arrange-t-il ? Quel penchant morbide, stérile ou fertile stimule-t-il ? Sur quel grand sens ouvre-t-il ? Ce grand sens qu'il nous faut rejoindre2 pour trouver le joyeux et vigoureux élan dont nous avons besoin.

 

 

 

Nous sommes tou.te.s, à des degrés divers, auteurs, colporteurs et adaptateurs d’histoires.

 

Des histoires qui fabriquent l’Histoire.

 

 

 

Reste donc à dénoncer le conditionnement de cette vision du monde qui arrange tellement les dominants. Les gagnants.

 

À la mettre en perspective. À l’éclaircir, à l’élargir.

 

Pour enfin sortir du Darwinisme social et reconnaître la place déterminante de la coopération.

 

 

 

Comme l’expliquait Jean-Marie Pelt3, l’Histoire de la Vie « commence par la coopération. (...) La compétition n’est intervenue que dans un second temps. La coopération est bel et bien le principe fondateur, le moteur de la vie. »

 

« Le capitalisme sauvage, la mondialisation ultra libérale, fondée sur une concurrence à tout crin, ignore les coopérations. La compétition à mort pour se tailler les parts de marché est leur maître mot. Sans doute leurs tenants devraient-ils méditer sur l’imagination sans limite avec laquelle la vie façonne et initie ses coopérations. »

 

Jean-Marie Pelt rappelait que le géographe, géologue, naturaliste et anarchiste Kropotkine l’avait précisé, bien avant lui : « ce qu’ils ont fait de Darwin est abominable (…). Ils ont réduit le concept de lutte pour l’existence à sa signification la plus étroite (…) Ils ont élevé la lutte sans pitié pour les avantages personnels au rang de principe biologique auxquels l’homme même doit se soumettre sous peine de succomber (…) Ils ont proclamé anéanti quiconque est plus faible que toi : c’est ce que veut la loi de la nature. Mais cela n’est absolument pas une loi de la nature ; c’est le tribut payé par les scientifiques darwinien à leur éducation bourgeoise ! »

 

 

 

Le récit de la génération sacrifiée par leurs aînés en cache un autre, plus fondamental, celui de la compétition constante, nécessaire et première. Un récit devenu dogme. Un récit qui permet l’exploitation et la mise en concurrence de tous par tous, à chaque instant et dans tous les domaines de la vie, jusqu’aux plus intimes. Un récit qui permet l’ultra domination des uns sur les autres, des riches sur les pauvres mais aussi des humains sur les autres espèces vivantes. Un récit qui affirme que l’intelligence se trouve dans cette rivalité et ce culte du gagnant. Un récit qui se prétend scientifique quand la science-même - et l’expérience de chacun - démontrent le contraire, la nécessaire complémentarité, la nécessaire coopération pour que la vie perdure.

 

 

 

La nécessité de vivre en bonne intelligence.

 

C’est cette conscience et sa mise en acte qui nous sauvera.

 

C’est cette conscience et sa mise en acte qui nous offrira (nous, jeunes et vieux) la joie de vivre, l’espérance, la force et les qualités permettant de participer à l’élaboration d’un monde désirable.

 

 

 

Il ne s’agit pas, dès lors, de refuser de gagner, mais de refuser le jeu grotesque des gagnants et des perdants et mettre en œuvre la nécessaire complémentarité, l'entraide vitale, cette recherche sans cesse renouvelée de l’écoute, de l’attention sensible et de l’harmonie qu’elle permet.

 

1 Marie de Hennezel, Vivre avec l'invisible, Ed R. Laffont/Versilio Pocket, p30

 

 

 

2 Concernant l'idée de sécession de Baptiste Morizot, on peut se référer par exemple à la quatrième de couverture de son livre Manières d'être vivant :

 

« Imaginez cette fable : une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la “nature”. À savoir : non pas des êtres mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde. Cette fiction est notre héritage. Sa violence a contribué aux bouleversements écologiques. C’est pourquoi nous avons une bataille culturelle à mener quant à l'importance à restituer au vivant. Ce livre entend y jeter ses forces. En partant pister les animaux sur le terrain, et les idées que nous nous faisons d’eux dans la forêt des savoirs. Peut-on apprendre à se sentir vivants, à s’aimer comme vivants ? Comment imaginer une politique des interdépendances, qui allie la cohabitation avec des altérités, à la lutte contre ce qui détruit le tissu du vivant ? Il s’agit de refaire connaissance : approcher les habitants de la Terre, humains compris, comme dix millions de manières d’être vivant. »

 

 

 

3 Les extraits de Jean-Marie Pelt et de Kropotkine sont issus de « La solidarité chez les plantes, les animaux, les humains » de Jean-Marie Pelt avec la collaboration de Franck Stefan, pages 36, 37 et 117

 

Nous, artistes, dans la Transition écologique

 

De grandes choses se dessinent :

 

 

 

Ne serait-il pas profitable de créer une dynamique entre artistes du Grand Est autour de la transition écologique ?

 

Pourquoi du Grand Est ?

 

Uniquement parce que c’est là que je vis, plus précisément en Meuse, et qu’il faut bien commencer quelque part.

 

 

 

 

 

Il existe des réseaux et collectifs travaillant dans ce sens, mais à ma connaissance, pas en Alsace-Lorraine-Champagne et ils ne correspondent qu’assez moyennement au projet que j’imagine (je suis néanmoins ouvert à ce que je ne connais pas). Aussi, je trouve que la diversité des démarches est un atout. 

 

 

 

 

 

J’aimerais réunir (déjà virtuellement par le Net puis physiquement) des artistes qui se sentent impliqués par leur travail, comme (plus généralement) par leur existence, dans la transition écologique, pour réfléchir ensemble à une manière de prendre collectivement notre place dans cette transition.

 

Événements ponctuels ou réguliers ? Happenings ? Expositions ? Inventions de lieux de rencontre et de culture ? Adaptations de lieux ou de rendez-vous existants ? Créations de média numérique ou papier ? Échanges informels ou organisés ?

 

Les propositions sont ouvertes.

 

 

 

L’idée étant de commencer par constituer un groupe d’artistes qui se sentent pleinement concernés par les enjeux écologiques de notre époques et qui ont envie de le manifester.

 

 

 

Précisons d’emblée que ce projet est, du point de vue matériel, entièrement à construire. Un projet d’autoconstruction culturelle en somme.

 

 

 

Voici l’esprit dans lequel je vois cette proposition :

 

 

 

 

 

 

Comme chacun sait, de nombreux groupes ont existé, des Nabis au Surréalistes, de Dada à Fluxus. Je n’ai, bien-entendu, pas la prétention de comparer ma modeste contribution à ces figures tutélaires. Mais leurs expériences peut nous aider. À chaque fois ces groupes n’ont pas suivi docilement une ligne directrice, fut-elle vertueuse. Elles ont mené ouvertement et librement des recherches qui, pour relever de l’art, se tenaient aussi au confluent de la poésie et de la politique, de la psychologie et de la sociologie, de la mystique et de la philosophie…

 

À chaque fois, pour autant qu’il se trouva parmi ces artistes une profondeur et un élan de vie suffisants, on se mit à débattre (par les mots, par les actes, par les choix existentiels, par les langages écrits et plastiques) de cette question à la fois essentielle, exaltante et si souvent laissée en jachère :

 

 

 

Comment vivre au mieux sur cette terre ?

 

 

 

Question qui, bien sûr, en implique d’autres :

 

Qu’est-ce que la vie ? Peut-on y trouver un sens ? Comment ? Etc.

 

Questions posées en privilégiant l’expérience sensible.

 

 

 

On peut rire de ces questions, on peut les tourner en dérision.

 

J’aime rire, mais je les tiens pour sérieuses et au centre des défis socio-environnementaux actuels.

 

 

 

Je crois que lorsqu’on est artiste, on ne peut être que dans l’expérience. On ne peut pas adopter la position du scientifique qui isole une part du réel dans un laboratoire et tente de l’analyser.

 

Nous vivons les questions que nous nous posons. Nous en faisons l’expérience au travers de sensations, d’émotions, de pensées, de sentiments favorisés et favorisant une expression qui passera selon le cas par un crayon sur une feuille, une pierre posé sur une branche ou un flot d’images animées.

 

 

 

Les œuvres qui naissent alors témoignent de cette recherche, de cette expérience et de cette liberté.

 

 

 

C’est l’ensemble de cette attention créative et sensible, l’ensemble de cette liberté, qui constitue un apport disponible à tout un chacun selon ses goûts, ses valeurs, ses centres d’intérêt, dès que les conditions  matérielles, sociales et culturelles le permettent.

 

C’est l’ensemble de cette dimension artistique qui peut, de mon point de vue, participer à la transition écologique et c’est dans ce sens que porte mon appel.

 

 

 

Aujourd’hui nous sommes nombreux à considérer que les défis majeurs de notre époque impliquent une mutation considérable de nos croyances, de nos valeurs, de nos principes, c’est-à-dire de l’idée que nous nous faisons de la vie et des conséquences très concrètes qui en découlent.

 

 

 

Je considère que cette mutation est possible parce que nos valeurs les plus profondes et les plus partagées sont des valeurs de relation, d’empathie, d’amour et d’entraide.

 

Je considère en effet que ce qui nous importe le plus profondément relève au fond de l’intelligence relationnelle, donc affective. Et pas seulement entre humains, mais aussi avec les animaux, les végétaux, les montagnes et les plaines, l’air et la lumière.

 

 

 

En somme la solution est déjà là, et ceci, depuis aussi longtemps que nous pouvons remonter dans notre histoire et notre préhistoire.

 

Même l’éthologie montre chaque jour que la propension de l’attention à l’autre n’existe pas uniquement chez les humains, loin s’en faut.

 

 

 

Mais, l’organisation du monde par les dominants, organisation qu’il nous faut évidemment remettre en cause avec plus de force de conviction, elle, repose sur de toutes autres valeurs.

 

 

 

Mettez n’importe qui dans les conditions physiques et affectives qui lui permettent de dire simplement ce qui compte le plus pour elle ou pour lui. Offrez à cette personne les conditions d’accès à sa profondeur. Croyez-vous véritablement qu’elle pensera « Ce qui compte le plus pour moi , c’est de consommer toujours plus, évincer toujours plus violemment mes rivaux et exploiter toujours plus cette planète comme les êtres qui y vivent » ?

 

 

 

De mon point de vue, si vous obtenez cette réponse c’est que la personne n’a pas accès à sa profondeur. Pour le dire autrement vous êtes face a un individu particulièrement névrosé qui relève même de la psychiatrie.

 

Bon… Un cinglé. 

 

Il y en a.

 

 

 

Si nous sommes tous relativement névrosés, nous n’en sommes pas là. Nous avons tous la possibilité de nous recontacter à nous-mêmes et constater que nos priorités vont dans le sens de l’attention sensible à l’autre, donc de l’empathie et de la résilience.

 

 

 

Mais, comme noté plus haut, dans ce qui nous tient lieu de cadre de vie planétaire, ce et ceux qui décident de l’évolution du monde (du moins dans la grande majorité) considèrent que cette forme d’attention n’est qu’un vague élément secondaire, superflu et même franchement facultatif.

 

Leur credo reste la croissance (une croissance du PNB, pas de la qualité de vie, faut-il le préciser ?), donc la compétition, l’exploitation et la consommation.

 

 

 

De mon point de vue, l’art aide à la transition écologique, non pas nécessairement lorsqu’il met en avant le recyclage des matériaux ou une forme de morale bien-pensante, mais dès qu’il nous permet de ressentir la profondeur de la vie et, dans cette profondeur, d’éprouver notre liberté.

 

 

 

C’est cela, je crois, qui compte.

 

 

 

Si vous vous reconnaissez dans ces mots, n’hésitez pas à me contacter par courriel, téléphone ou courrier postal. Je suis à votre disposition pour échanger avec vous, mais si vous préférez pour l’instant m’envoyer un message du genre « OK pour l’aventure » ou « a priori ta proposition (quoi que pas très originale) m’intéresse. Tu peux me compter parmi les artistes potentiels du collectif potentiel » ou «  on a déjà fait ça, c’est génial, viens nous rejoindre ! » ou autre chose, n’hésitez pas. Tutoiement ou vouvoiement acceptés.

 

 

 

La première étape consistera à nous mettre en relation.

 

 

 

Si vous êtes intéressé.e.s envoyez-moi vos coordonnées sur ma messagerie

(olivierbelot@caramail.fr )

avec un lien vers vos éventuels blogs et présences sur les réseaux sociaux (que je ne trouve pas le temps de fréquenter comme il se devrait si j’étais mieux élevé mais que voulez-vous, on ne se refait pas).

 

Dans ce sens, pour celles et ceux qui seront d’accord, je mettrai sur mon site leurs coordonnées.

 

 

 

Un premier rendez-vous pourra ensuite avoir lieu, par exemple sur une plateforme de réunion en ligne, ou dans un lieu réel, selon la situation globale et la situation géographique de chacun chacune, pour nous présenter les un.e.s aux autres et pour flairer l’atmosphère, sentir dans quelle mesure nous pouvons évoluer ensemble, et bien-sûr, joyeusement,

changer le monde.

 

 

 

Écophilie

L'exposition Écophilie s'est ouverte par un Café Itinérant de la Transition autour de la place de l'art, et plus largement de la culture, dans l'écologie. J'avais préparé un texte, avec l'idée de le suivre scrupuleusement. Ce que je ne fis pas. Mes digressions m'amenèrent par exemple à évoquer les relations entre sciences et politique avec d'une part le darwinisme social et d'autre part les recherches de Kropotkine (montrant le rôle des complémentarité et de l'empathie). Mais l'idée de base fut, je crois, respectée. Et cette conférence offrit la possibilité d'un échange convivial et intellectuellement stimulant. Voici, à peu de choses près, ce texte autour de mon travail et de la façon dont l'art, l'état de poésie et la créativité s'articulent, à mon avis, avec la transition écologique. Le tout risquait de paraître confus, mais c'est un peu la confusion qu'on peut sentir devant une forêt. Si on se donne la peine de chercher on trouve une cohérence derrière, on se rend compte que les arbres communiquent et que la forêt forme en fait un organisme vivant. Et si la culture peut nous aider c'est probablement par se richesse et sa complexité.

 

 

 

D'abord un point sur cette importance de la culture :

 

 

 

Dans nos cultures on a beaucoup de difficulté à reconnaître l'importance de la culture. Si c'est quelque chose de très flou pour beaucoup de personnes c'est pour moi une question déterminante.

 

 

 

Il existe des régions du monde où tout nous invite à être attentif à la profondeur de la vie et il existe d'autres régions où tout nous invite à manger des sucreries ou posséder le dernier téléphone portable. Ces dernières régions ont eu tendance à gagner beaucoup de terrain. Sogyal Rinpoché disait par exemple « Au Tibet, même si vous ne vouliez pas pratiquer (la méditation) tout vous y poussait. En occident, même si vous voulez pratiquer, tout vous en détourne ». C'est le constat qu'il faisait.

 

Et pour l'écologie pratique, disons, c'est la même chose. Il y a actuellement 200 villes en transition et il existe 50 pays qui ont des groupes qui travaillent sur la transition. D'après un de ses habitants la ville de Totnes, en Angleterre, qui a créé ce réseau des villes en transition, est une ville verte et engagée depuis un siècle. J'ai fait un petit calcul et d''après mes informations, cette initiative a été portée par à peine plus de 2 % (2,5) de la population de Totnes. Mais ces 2 ou 3 % ont pu s'appuyer sur un siècle d'engagement. Un siècle ça commence à faire une culture, quelque chose qui nous imprègne. Non pas une culture hémophile, j'ai parfois peur que notre culture se vide de son énergie vitale et de son sens, mais une culture écophile.

 

 

Origine du titre Écophilie (sa genèse et son étymologie)

Le mot écologie vient d'éco et de logos. Éco pour Oikos, maison, et logos pour le discours, la parole, la science.

 

Écophilie, le titre de cette exposition, préfère invoquer la philia, c'est-à-dire l'amitié, l'amour, l'affection, le sentiment que nous éprouvons pour cette maison dont nous faisons partie, ce lieu de vie qu'est pour nous la terre.

 

Au départ j'avais eu envie d'appeler cette exposition « Écophilie ou Vida loca » en clin d'oeil à Sylvain et Clément de « La vida locale » de Fresnes. Je pensais à vida loca, vie folle, pour sa similitude avec vida locale, vie locale et pour les deux sens que la formule vida loca éveille :

 

la vie folle au sens d'une joie qui dépasse la morale bien-pensante

 

et la vie folle, au sens psychiatrique, de ce que les grecs appelaient l'hybris, cette obsession pour la démesure et la toute puissance, cette folie destructrice, qui caractérisent toute une part de notre époque. Avec notamment l'impératif constant de croissance.

 

On peut aussi penser à une notion proche de l'hybris, celle de trichna, terme sanskrit central dans le bouddhisme, qui a souvent été mal traduit en l'associant au désir alors qu'il signifie, au sens littéral, la soif qui accapare. La trichna est donc cette avidité insatiable. « le contraire du désir » (selon Fabrice Midal).

 

 

 

On l'entrevoit ici, la situation que j'essaie de mettre en perspective, avec les questions qu'elle soulève et les issues qui se dessinent, relève de la culture, de la politique, de l'économie et de la spiritualité. Mais, en dehors des alternatives qui émergent ici et là, la façon dont nous traitons généralement la transition écologique n'associe pas ces multiples dimensions.

 

 

 

Alors la question que je me pose et que nous sommes nombreux à nous poser, c'est « Comment faire dans ce contexte ? Que faire pour ne pas sombrer dans l'abattement, le découragement et l'inertie ? Où trouver le rebond, le courage et la force de résistance ? Comment faire pour participer à une transition vers des modes de vie soutenables, intelligents et heureux ? »

 

 

 

Chacun trouve les réponses qui correspondent à sa sensibilité et ses possibilités du moment. Il y a une diversité de réponses dans lesquelles on puise chacun à sa façon. C'est ce que le Café Itinérant de la Transition essaie de rendre visible et vivant, convivial. Et l'art n'est pas suffisant à lui seul. Mais il est pour moi nécessaire.

 

 

L'art est la solution que j'ai trouvé, la piste que j'ai suivie et que je continue de suivre. J'ai trouvé ma place grâce à l'art, dans mon propre travail et bien-sûr dans celui des autres, comme par exemple celui de Joseph Beuys et son idée de sculpture sociale qui avait beaucoup comptée pour moi, mais aussi dans les cultures animistes, comme on peut en avoir l'intuition en regardant ces aquarelles. J'ai sûrement aussi été influencé par la figuration d'animaux dans les enluminures du moyen-âge. Et l'hypothèse d'un art de la préhistoire lié au chamanisme m'intéresse particulièrement.

 

Je crois que l'art, la créativité, la sensibilité et plus largement la culture sont des éléments déterminants de la transition. Je ne crois pas que l'art est ce à quoi son marché le réduit. Ce qui nous tient lieu de culture dominante réduit l'art à un signe extérieur de richesse, une sorte de cerise sur le gâteau qui viendrait couronner une carrière réussie ou même légitimer une existence.

 

Non, chacun le sait au fond, l'art ce n'est pas ça. L'art n'est pas même une chose jolie ou une chose prétendument originale. Pour moi, l'art est un engagement, c'est le témoignage d'un immense et farouche attachement à la liberté, à la sensibilité, à la créativité, à la pensée, et souvent, à l'amour.

 

 

 

 

 

 

Aquarelles

On peut considérer que mes aquarelles actuelles sont de deux types : les aquarelles-textes et celles sans texte. Dans les deux cas je suis animé par la même envie de porter notre attention sur un état particulier, un état de relation fluide à nous-même, à l'autre, pas uniquement humain, et un état de relation à la vie.

 

 

 

Des chercheurs contemporains (notamment le psychologue Mihály Csíkszentmihályi) ont qualifié cet état, ou en tout cas un état qui s'y rapproche, de flow. L'état de flow est un état optimal de présence qu'on trouve particulièrement lorsque nous créons. Mais je crois que ce flow est en lien également avec une forme de connaissances et de pratiques, liées au corps, à la poésie et à l'art, une philosophie et des pratique vieilles de plusieurs millénaires (2500 ans, Tao Te King, Lao Tseu, environs moins 600) que les anciens chinois appelaient le tao, c'est-à-dire ce phénomène qui embrasse toute chose, ce courant fluide qui est toujours en mouvement. Avant de représenter ces petites silhouettes qui traversent mes aquarelles j'ai longtemps peint uniquement cette fluidité. Puis j'ai ressenti le besoin de figurer, c'est-à-dire peut-être de préciser mon désir et mon sentiment de ce que pourrait être la réalité. Je crois que j'ai voulu témoigner de cela.

 

Dans mon travail j'aime particulièrement retrouver et explorer ce sentiment de changement incessant de la vie, cet état de poésie, ce sentiment de liberté, de fantaisie aussi et j'aime ce goût de la légèreté. Cette légèreté de l'être, Milan Kundera l'avait majestueusement romancée en la qualifiant d'insoutenable. J'avais beaucoup aimé « L'insoutenable légèreté de l'être » mais je crois qu'il existe une légèreté, probablement difficile à connaître tout le temps, mais tout de même soutenable (comme il existe des modes de vie soutenables), une légèreté de l'être qui rend plus vivant, plus en accord avec le courant fluide de la vie.

 

 

 

Le texte qui parcourt ces six aquarelles a été imprimé. On n'est donc pas obligé de le lire sur les aquarelles. Mais j'aime beaucoup cette association entre écritures littéraires et plastiques. Ce sont deux langages, qui favorisent certainement deux modes de pensée sensible ou deux modes de sensibilité pensante. Les faire ainsi se rencontrer, comme ils se rencontraient déjà dans les enluminures, me stimule beaucoup. Le texte évoque un message que nous adresserait quelques groupes d'animaux, il parle de la vie comme d'une dimension qui nous dépasse, il rappelle que l'espèce humaine ne s'en sortira pas seule. J'ai écrit ce texte comme une parole vive venant d'une partie de nous, une partie de notre intelligence première peut-être, celle que nous partageons avec les autres êtres vivants, une parole venant d'un élan vital qui invite à un autre type de progrès que ce qu'on entend généralement sous ce vocable.

 

 

 

Une parole venant d'un élan, un élan qui ne cesse de revenir dans mes aquarelles avec ces silhouettes et ces traces colorées. Un élan qu'on retrouve dans le titre d'une autre exposition « L'Élan du monde » qu'on peut voir actuellement à la Maison de Thé des Jardins de Gaïa à Wittisheim en Alsace. C'est donc un élément important et même récurrent de ma recherche.

 

 

 

J'ai cru remarquer que les silhouettes d'humains qui s'invitent dans mes aquarelles sont parfois dans des positions plus incertaines que les silhouettes de grues cendrées, de cervidés ou de lièvres. Je crois que les non-humains de mes aquarelles sont davantage portées par l'aisance d'êtres eux-mêmes. Et les humains sont un peu plus dans l'incertitude, ils sont en recherche, comme nous le sommes probablement tous. Ils semblent davantage éprouver des difficultés, ou parfois être carrément à côté de la plaque, mais ils essaient, ils s'élancent quand même.

 

L'atelier des Prés, un espace de ressourcement créateur en Lorraine

J'adore ressentir cet élan et en particulier l'élan créatif. C'est je crois ce que je préfère éprouver quand je travaille à mes aquarelles, mes sculptures ou quand j'écris. J'adore ce sentiment de légèreté, de fluidité, de liberté, de joie et de découverte.

 

 

 

 

 

J'aime beaucoup aussi voir cette libre circulation de la sensibilité créative chez les autres. C'est un émerveillement qui me réconforte de toutes les tensions et inquiétudes que certains aspects de notre monde me procurent. C'est aussi un émerveillement qui me donne confiance en l'être humain.

 

Je vais vous parler un peu de l'Atelier des Prés que nous animons Béatrice Belot Le Deley et moi. Dans cet atelier nous nous efforçons de permettre à cet élan créatif de s'exprimer, pour chaque personne, de l'accueillir et de le soutenir. Nous constatons à chaque fois que le cadre accueillant et non-jugeant de cet atelier d'inspiration et de ressourcement créateur aide à croire en soi. Dans une expression créatrice profonde et libre on assiste nous-mêmes à ce que nous exprimons. Je trouve ça très réjouissant. Quand une personne croit en elle-même elle trouve en elle des ressources d'une grande force et d'une joyeuse singularité. Elle parvient à prendre confiance en son monde, à le déployer. En soutenant cette libre expression créatrice la personne élabore son langage plastique, son monde de couleurs, de matières et de formes. Enfants comme adultes.

 

 

 

Mes années aux Beaux-Arts m'avaient beaucoup plu mais cet atelier m'a permis de mieux comprendre le processus créatif que j'aime tant éprouver.

 

 

 

C'est mon épouse Béatrice qui m'y a amené et c'est elle qui s'occupe de la plupart des ateliers et en particulier des ateliers enfants. Même si ce n'est pas moi qui m'en occupe, quand je vois la joie de ces enfants et quand je vois leurs parents qui les accompagnent, je gagne en confiance. En confiance en l'humanité et en confiance en une possible transition. Pour cette transition, on a besoin de prendre appui sur notre propre nature, qui, je crois, est une nature créative et sensible.

 

 

 

Ces jeunes et ces adultes qui expérimentent, qui ré-expérimentent et cultivent le fait de suivre leurs sensations, leurs désirs, leurs sentiments ou leurs idées me redonnent confiance. Je crois que si on veut évoluer vers un monde heureux et soutenable, c'est essentiel d'écouter sa sensibilité et celle d'autrui. Ce n'est pas toujours facile mais c'est nécessaire. Nous avons besoin d'être plus attentifs à toutes les nuances de la vie si on veut que la vie se poursuive avec toutes ses nuances. C'est en tout cas comme cela que je fais.

 

À nouveau la culture

Je pense que nous avons besoin de développer une culture de l'attention sensible en lieu et place de la pseudo culture de compétition, d'exploitation et de consommation que nous impose chaque jour le capitalisme et sa version néo-libérale.

 

 

 

Plus on exerce notre sensibilité, plus on la déploie, et plus on se rend compte de nos limites, de notre petitesse devant l'incroyable merveille d'étrangeté de la vie. Mais plus on devient vivant. Je crois que mes aquarelles parlent de cela.

 

Or c'est en devenant plus vivants, plus sensibles, plus éveillés et moins indifférents que nous cesserons de déléguer notre pouvoir à des représentants politiques qui semblent se moquer éperdument des bouleversements climatiques, de la chute de la biodiversité et, entre autre choses, de la fragilisation des démocraties.

 

Je crois que c'est en devenant plus vivants, plus sensibles, plus éveillés et plus empathiques, et en affirmant une culture poétique de l'attention sensible, que nous parviendrons à changer de modèle de société et de modes de vie.

 

 

 

Je crois à l'importance d'une culture qui préserve la sensibilité et la libre circulation des émotions. « Le plus important dans la vie c'est l'état poétique (..) ». C'est Edgar Morin qui disait ça. Il considérait « l'état de poésie comme une aspiration profonde de l'être humain, qui peut devenir dépassement de soi ». Et évidemment on a besoin aujourd'hui de se dépasser. Durant la seconde guerre mondiale, ce fut le cas d'Edgar Morin quand il s'est engagé dans la Résistance. Vous savez ce qui a déclenché cet engagement ? Ce sont les poèmes d'un jeune homme de 19 ans et l'opéra d'un allemand : l'ouverture du Vaisseau fantôme de Richard Wagner et Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud. Ce sont ces deux œuvres qui ont déclenché son engagement. Ce n'est pas la qualité de l'armement disponible ou les techniques de communication, c'est l'art.

 

C'est l'art qui lui a donné cet élan. Alors on ne trouve pas tous cet élan dans l'art, mais je crois qu'il est essentiel qu'il existe des lieux et des rendez-vous qui nous permettent de vivre avec l'art et avec notre créativité.

 

 

 

 

 

Il y a une vingtaine d'années, Arnaud Desjardins disait, comme pas mal d'autres, que « le salut ne peut venir que d'un bouleversement culturel radical, totalement imprévu pour l'instant, mais qui commence à germer dans les mentalités d'innombrables hommes et femmes (...) ». Un nouvel élan, une nouvelle énergie donc. Je crois que l'art peut nous aider à sentir la possibilité de cette évolution, je crois que l'art peut nous aider à retrouver le goût de l'utopie. L'utopie c'est ce vers quoi on tend, ce qui pour l'instant semble impossible à réaliser mais pour lequel on peut s'activer malgré tout. Je crois que l'art peut rendre plus vivante et plus réelle la sensation que nous faisons partie de ces innombrables personnes, sensibles au devenir du monde.

 

« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ». C'est une toute jeune femme de 18 ans qui dit cela, la lycéenne Youna Marette, cofondatrice du mouvement Génération Climat, qui se définit comme « un mouvement de jeunes écologistes radicaux ». C'est au Sénégal, dans le village de pêcheurs d'où est originaire sa famille que Youna Marette a pris conscience des modifications écologiques, la mangrove disparaissant et la culture du riz devenant dorénavant impossible devant les changement climatiques.

 

« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ». Youna Marette a le sens des formules, mais c'est une formule sensible, poétique et qui a du sens. Elle pointe là un point essentiel de ce qui causera peut-être notre perte, cette conviction que nous sommes séparés de la nature et cette conviction qu'il nous suffirait de faire partie des plus riches pour nous préserver du réchauffement climatique. C'est cette question de la séparation ou de l'union dont j'essaie de parler dans ces aquarelles.

 

 

 

Maintenant comme hier, nous avons cette possibilité de participer à la transition écologique et solidaire en prenant appui sur une culture de fond qui perdure probablement depuis les origines et qui a permis à l'humanité de survivre. Nous avons la possibilité d'affirmer et développer une culture de la créativité, une culture de l'attention à soi, à l'autre, à la vie, au monde, à notre propre nature et à cette nature dont nous faisons partie. C'est l'objet de ce moment que nous partageons, de ce café et de cette exposition. C'est je crois, ce qui est à l'origine aussi de ces aquarelles.

 

 

 

A la brutalité de notre époque je ne trouverais pas de réconfort dans la seule révolte. Cette révolte je peux l'exprimer avec le langage des mots mais pas celui de l'art. Avec mes sculptures et mes aquarelles je rejoins et je cultive autre chose, je cultive un territoire qui ne réagit pas à cette violence, qui s'y refuse. Avec l'art, je témoigne de cette expérience dont il est très difficile de parler mais qu'on peut appeler la grâce de la présence.

 

 

 

Edgar Morin précisait que « la résistance nécessite des oasis de vie poétique ». Peut-être que ce groupe que nous formons en ce moment dans cette exposition forme un de ces oasis et que nous pouvons participer à leur multiplication et leur mise en réseau.

 

Lorsque mon père pouvait encore travailler il était jardinier, aussi je me sentirais très honoré de devenir à mon tour jardinier, apprenti-jardinier, et de m'activer avec d'autres jardiniers en oasis de vie poétique.

 

J'espère que ces paroles ont été vivantes pour vous et je vous remercie de les avoir lues.

 

 

 

L'atelier des prés, un espace de ressourcement créatif en Lorraine

17 rue de l'église

55160 Pareid

 

@latelierdespres

 

Edgar Morin, Sur l'esthétique

Arnaud Desjardins, Regards sages sur un monde fou, Entretiens avec Gilles FarcetFabrice Midal, Foutez-vous la paix, pages 62 et 63, Pocket

 

L'entraide, un facteur de l'évolution, Pierre Kropotkine (Petr Alekseevitch Kropotkine)

https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/kropotkine-lentraide-facteur-devolution

 

 

 

 

Anthropocène

 

 

 

 

J'aimerais parler d'un gros mot, qui de surcroît, fait peur :                  ANTHROPOCÈNE

L'anthropocène est le nom donné à notre époque, une ère géologique marquée par le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité. Le tout causé tristement par l'homme.

 

Certains préfèrent le terme de capitalocène ou capitalismocène pour préciser que les Inuits, les Pigmées, la plupart des Ethiopiens ou les Sioux par exemple n'y sont pour rien. De ce point de vue, ce n'est pas l'humanité toute entière qui cause ce péril planétaire, mais uniquement et précisément cette organisation et cette croyance qu'on nomme le capitalisme.

 

Dans l'anthropocène ou capitalocène donc, on ne peut plus souhaiter seulement à quelques personnes une bonne année. On est obligé de se mettre dedans et de mettre tout le monde dedans, tout le monde, c'est-à-dire le monde entier. Donc, heureuse année à l'humanité entière ! Même aux très gros actionnaires : s'ils sont réellement heureux ce sera peut-être pour eux comme un éveil, ils réaliseront que ce qu'ils prenaient jusque là pour du bonheur ou une promesse de bonheur ou encore la « vertu » n'était qu'une misérable petite excitation nerveuse. On peut supposer que, découvrant cela, ils changeront radicalement leur manière d'être : l'amour et la pensée auront enfin une place dans leur existence !

 

Mais il ne s'agit pas simplement de souhaiter une bonne année à toute l'humanité. Bonne année, oui, aux grillons, aux zébus, aux baleines et aux phoques, aux abeilles, aux coccinelles, aux ours bruns et blancs, aux loups, aux hyènes qui ont sûrement aussi leur rôle à jouer, aux coyotes, aux renards, à tous les cervidés, aux lièvres, aux grues cendrées qu'on entend en ce moment, aux souris (même si j'ai du mal avec celles qui squattent ce que nous estimons être notre maison), aux nénuphars, aux nuages, à la pluie, aux plages, aux espaces tranquilles, à l'amour (encore), à une culture de la présence à soi, à l'autre, à ce qui est, à une forme d'art qui vient de cette présence, à la danse, à l'élan, à la nudité, à la bienveillance aussi.

 

 

 

 

 

 

 

 

On est obligé parce qu'on sait qu'on est dedans. Dans cet étrange univers mais aussi dans cette saloperie d'anthropocène ou de capitalocène ou d'aveuglement étriqué de la soif de prendre. Prendre toujours plus, de pouvoir, d'argent, de biens matériels et immatériels.

 

On est dans cette situation et on pourra toujours étendre les murs de Berlin, du Mexique, de la Palestine ou de l'Europe à des tailles sidérantes, affligeantes et ubuesques on restera tou.te.s dedans.

 

Nous tardons à le sentir mais ça risque de venir. Et je n'apprends rien à personne en précisant qu'il serait préférable de changer tout de suite, de chercher et trouver notre bonheur ailleurs que là où les marchands du temple néolibéral dirigent nos neurones. Il est préférable de changer pendant que nous avons encore les coudées relativement franches et avant que nous en sentions physiquement la nécessité. Quand nos sens nous indiquent « Tiens, il fait très chaud, ma maison, mon quartier, ma ville sont en train de brûler » en général c'est un peu tard. La hausse des températures nous promet des catastrophes climatiques, sanitaires (des épidémies par exemple) et économiques, répétées et en chaines ainsi que d'autres joies pures au sein desquelles il sera certainement très délicat d'agir selon un libre arbitre ouvert et détendu.

 

Agir avant que nos sens nous y poussent dans l'urgence semble une option raisonnable.

 

Alors changeons maintenant, osons changer de croyances, osons chercher et nourrir notre enthousiasme dans la présence désencombrée, dans l'attention sensible, dans l'empathie.

 

Dès qu'on fait un pas de ce côté, la balance mondiale (la vraie, celle de notre planète, pas celle des imports-exports) penche un peu plus du côté de la vie, de la pulsion de vie, de l'intelligence vitale.

 

 

 

 

 

Cessons d'alimenter les multinationales, retirons-leur nos billes et lançons-les ailleurs. En somme, affirmons-nous. Osons dire notre envie de fraternité, de douceur, de pensée, d'humour, de créativité, de gentillesse, de perspective aussi ! Osons l'exprimer avec force, avec fermeté.

 

 

 

 

 

 

Fragments d'explorations

 

 

Il y a le moment où une idée germe, ensuite la période où elle se développe, fait son chemin, enfin l'instant où je constate qu'elle est complètement en moi. Je peux alors m'appuyer dessus.

 

Est-ce le cas pour tout le monde ?

 

 

-

 

 

« Au départ, mon travail, c'est la peur de la chute.

 Par la suite c'est devenu l'art de la chute. Comment tomber sans se faire mal.

 Puis l'art d'être ici, en ce lieu. »

 Louise Bourgeois

 

 

« On s'aperçoit qu'on est libre mais que faire de la liberté ? »

 Léon Blum, « Du mariage », 1907

 

 

 

 

 

J'ai là, devant moi, une demi-heure d'heureuse disponibilité. J'adore ce sentiment.

 

Lorsque j'étais enfant, ma mère (et des générations de chrétiens avant et derrière elle) considérait qu'il fallait utiliser le verbe adorer dans un seul cas, et pas des moindres : Dieu.

 

D'un point de vue étymologique c'est imparable, adorer apparaît dans le contexte religieux pour honorer la divinité par le culte (adorare signifiant adresser une prière et orare, prier). Le dictionnaire historique de la langue française précise que la locution s'applique aussi aux idoles et aux faux dieux.

 

Il me semble qu'on ne peut, effectivement, qu'honorer le sentiment d'heureuse disponibilité, lorsqu'on l'éprouve. Il est possible que les humains aient souhaité désigner ce type de sentiment par les noms de dieu, divin ou sacré, mais qu'une fois les dogmes établis ils le rejetèrent et le qualifièrent d'idolâtrique. J'aime laisser dériver ma pensée dans ce sens.

 

 

 

Mais bien-sûr il ne suffit pas d'avoir du temps libre. Si la liberté est nécessaire elle n'en est pas moins exigeante. Pour rester dans le même lexique, on y rencontre aussi, comme chacun sait, nos démons. Ce n'est pas pour rien que tant d'individus, pourtant fortunés, passent leur vie à s'agiter en tout sens dans ce qu'ils appellent très sérieusement leur « travail ». Lorsqu'un vide survient, lorsque pour le dire autrement, ils se retrouvent libres, il ne leur reste que les loisirs préformatés et les zones de régression pour éviter l'angoisse. Mais lorsqu'on prend le temps pour fréquenter nos démons, c'est-à-dire reconnaître nos difficultés, notamment névrotiques, il arrive qu'on découvre des grèves océaniques.

 

 

 

 

 

 

 

J'ai peint, dans l'atmosphère de notre atelier, des iris à l'encre de Chine. Carmella, Béatrice et moi étions chacun.e à notre affaire. La mienne se jouait entre des papiers de natures diverses, un assez gros pinceau-brosse mal échevelé (c'est ce caractère qui me plut) et les iris à quelques mètres.

 

J'ai beaucoup aimé faire un avec ce que je faisais.

 

De surcroit, depuis, Béa et moi aimons mes iris.

 

 

-

 

 

Dès que je crois cerner mon travail (de façon probablement trop définitive) quelque chose se produit pour sortir des rails que je viens, malgré moi, d'installer.

 

Par exemple lorsque j'ai commencé à penser (ou à penser trop fort) qu'un des aspects constitutifs de mes aquarelles était la trace d'un mouvement... ces traces disparurent !

 

De la même façon, il y a quelques temps j'ai composé un recueil d'aquarelles. Dans ce bref état des lieux, je nommais les quelques animaux qui y figurent le plus souvent  : la grue, le lièvre, les cervidés et les humains. Dès lors, comme pour me contredire, le renard s'est invité de façon plus insistante.

 

Je crois que la vitalité créatrice évite les systèmes trop cloisonnés.

 

 

 

 

 

 

 

J'adore le sentiment amoureux.

 

Si notre culture le définit généralement comme un phénomène éphémère et illusoire, si nombre d'individus, célèbres ou anonymes, se plaisent à le tourner en dérision, c'est, j'imagine, qu'ils s'y sont cassés quelques dents et préfèrent garder celles qu'il leur reste pour mordre.

 

Dans ce sentiment j'aime évidemment l'ouverture à la vie qu'il me procure, l'enthousiasme, la chaleur, la confiance, l'acuité, la gaieté et la joie. Mais aussi, la candeur.

 

C'est un bonheur de vivre cet état.

 

La candeur est une qualité. J'ai le sentiment que je pourrais répéter cela à l'infini. C'est d'ailleurs peut-être ce que je fais avec mes aquarelles, mes haïku et mes sculptures...

 

 

 

 

 

 

 

La petite cabane suspendue

 

comme elle tangue

à l'arrivée du merle !

 

 

 

 

           Le chant du pinçon

          il recommence après la pluie

 

          Ou est-ce moi qui n'écoutait plus ?

 

 

 

Chauves-souris

Le bruit à peine perceptible de leur bruit

 

frrrt-frrrt-frrrt-frrrt

 

frrrt-frrrt-frrrt-frrrt

 

 

 

 

 Elle était là sur le pont

 sautillant vers la rambarde

 

 Soudain elle la franchit

 et hop, sauta dans le vide

 

 la pie.

 

 

 

 

Fraicheur de l'aurore

 

Ce parfum poivré...

Les onagres ?

 

 

 

 

                                                                                                                         Onagres dans la nuit

                                                                                                                                                            extase sur extase

 

                                                                                                                                                            elles fleurissent

 

 

 

 

 

Ce ciel presque turquoise

aux nuages roses

flottant devant la lune pleine

complètement ronde

Sous une brise douce, légère et aussi improbable

 

je m'y perds

 

 

 

 

 

 

 

« Ainsi, pendant qu'en Europe ce qui restait de l'Empire romain s'effondrait, les moines copiaient les livres anciens dans des monastères perdus sur les montagnes et ils enluminaient leurs manuscrits pour qu'ils continuent à luire dans l'obscurité, sans même savoir si quelqu'un les verrait un jour. Cela reste, pour l'historien d'aujourd'hui, un mystère. »

 Oliver Wolf, Revue Historical Studies n°26 , University of Manzanita

 

Judith Butler écrit « non pour changer la vie mais pour rendre la vie plus vivable, moins douloureuse, plus accomplie ».

 Laure Adler, dictionnaire intime des femmes

 

 

 

 

 

Il me semble avoir perçu, enfant, que la vie pouvait être autrement enthousiasmante que ce qu'il est tenu de croire habituellement. Comme beaucoup d'enfants peut-être. Je me souviens de rires avec ma mère et de notre plaisir à écouter et reprendre des chansons pop, porteuses du formidable élan des années soixante-dix. Cette culture populaire a pesé dans la balance, au même titre que la culture ouvrière et paysanne de ma grand'mère, une femme ayant développé un assez fort quant-à-soi.

 

Depuis, en poursuivant mon cheminement j'ai le sentiment d'approfondir l'exploration de ce que peut être la vie en terme d'accomplissement et d'épanouissement.

 

Termes qui me semblent manquer singulièrement dans ce qu'on pourrait appeler la culture dominante de notre époque.

 

 

-

 

 

De la même façon, je crois aussi avoir été sidéré, assez tôt, par notre propension à l'inertie grégaire, cette passivité devant le conditionnement à l'étroitesse.

 

Il semblerait que nous ayons besoin, pour réagir, de contraintes violentes. Nous nous révoltons quand la douleur est trop forte mais, en temps de paix, étudier, expérimenter davantage, fortifier et élargir, épanouir la paix ne nous intéresse pas.

 

Quand ce travail-là, ce travail si précieux, existe, il se développe dans l'intimité. S'il s'exprime socialement, c'est par la religion et les autres pratiques dites spirituelles - mais il se transforme alors aisément en dogme ou pure technique – ou par la littérature et l'art, ce qui n'est pas si fréquent.

 

Que se passe-t-il dans la paix, que se passe-t-il quand on explore la joie, la présence heureuse, la « bonne heure » ? Que se passe-t-il après la fin heureuse (quand elle l'est) des romans, contes, films et autres récits ? C'est ce que j'essaie d'explorer, existentiellement et dans mon travail, pour autant qu'on puisse séparer les deux.

 

 

 

 

 

Sur ma peau nue

toute la douceur

de l'été

 

 

 

 

 

Été indien

 

 

 

En frais apprenti des newsletters j'ai accumulé trop de textes de juillet à août, et tardé à y faire le tri. J'élaguai donc dans la récolte et en recueillis quelques traces d'été, ici livrées en plein automne. On y trouvera des allusions au zen ou au tao, à la présence, l'attention sensible, l'enfance, la liberté et à leur possible ou impossible traduction. On y rencontrera aussi des grues et des humains, des lièvres et des biches, qui ne se lassent pas de leur élan dans les couleurs du monde. Le prosaïque y danse, sans explication ni raison évidente, avec de courts poèmes et des fragments d'aquarelles.

 

Je commence, étrangement, par un vœu formulé sans y croire :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je voudrais écrire une lettre aussi légère, aussi fraiche qu'un haïku de Bashô. Bien-sûr je n'y parviendrai pas. Les méandres du monde et mes propres errances ne peuvent me le permettre.

 

Il n'empêche, j'aime ce désir. Et j'aime qu'il m'accompagne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hier soir, essayant de m'endormir

 

j'ai reçu la visite d'un haïku

 

 

 

Maintenant bien réveillé

 

où est-il allé ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'ai toujours aimé la façon dont le ch'an (forme de zen chinois) mêle l'absolu et le relatif, le mystique et le concret brut. J'avoue que les notions trop péremptoires de sagesse et, pire encore, de sages me laissent assez dubitatif. Voici cependant deux pépites trouvées... dans un dictionnaire de la sagesse orientale1 (!) :

 

 

 

Fukasetsu : littéralement « l'indicible », l'expérience vécue dans l'illumination échappe à toute formulation rationnelle. Quiconque a pris conscience de sa vraie nature est « comme un muet qui a eu un rêve » selon les mots du maître ch'an Wu-men Hui-K'ai.

 

 

 

 

 

Je pense à toutes les petites et profondes illumination du quotidien et à ce que le monde pourrait devenir si la raison raisonnante était perçue pour ce qu'elle est, ni du pipi de chat, ni la solution, mais un simple outil parmi d'autres.

 

 

 

Senchô-Fuden : littéralement « ce qu'un millier de sages ne pourraient transmettre ». Expression soulignant l'incommunicabilité de l'expérience du zen. Mille sages réunis ne pourraient le traduire par des mots ; chaque homme doit s'éveiller par lui-même.

 

 

 

L'ouverture de ces définitions me plait beaucoup, mais il faudrait y ajouter le paradoxe qu'aucun être humain n'existe uniquement par lui-même, indépendamment, chacun étant bien-sûr influencé par celles, ceux et ce qui les environnent. Je pense aussi aux multiples langages artistiques à notre disposition pour témoigner, partager et explorer notre vécu. La poésie cherche à traverser les mots parce qu'elle a autre chose à exprimer et que les mots sont incapables de dire. (Jean Onimus2)

 

Essayons-donc de dire la vie, autrement :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aquarelle (détail)

5 - 6 août 2018

50 x 70 cm

 

 

 

 

 

Et encore autrement :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Petite table au soleil.

 

 

 

Sur ce tout petit espace

 

théière, cafetière, pichet, tasses et verres

 

et nos livres

 

et ce que nous écrivons

 

et nos conversations

 

et nos sentiments

 

et nos corps nus et ce monde végétal si divers

 

et l'air et le ciel

 

et ses oiseaux

 

et leurs chants

 

 

 

et dans tout cela

 

la vie, la vie, la vie !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avez-vous vu les onagres ?

 

Les avez-vous vu la nuit

 

à l'aurore, au crépuscule ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Micro insecte posé sur mon livre ouvert

 

 

 

Du mot « espace » il ne cache qu'une lettre

 

Et quatre de ses longues et fines pattes

 

triplent au-moins la longueur de son corps

 

 

 

Gris-brun je le trouve plutôt inquiétant

 

Est-il connu, répertorié dans les listes en continuelle progression des entomologistes ?

 

 

 

Par précaution (ce sera ma contribution à la science)

 

je le nomme.

 

 

 

Minus-Minus

 

 

 

(J'ai pensé à Horibilus Minus-Minus

 

mais c'est un nom trop difficile à porter)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À quoi peut bien servir l'art ? Comment déployer une intelligence sensible et comment agir malgré l'époque plus ou moins trouble où on se trouve ? Quelles complémentarités peuvent se tisser entre intellect, sentiments et affects ? Voici trois rencontres de lecture que l'Atelier des Prés, notre atelier d'expression créatrice de Pareid, ici en Meuse, aurait pu citer aussi :

 

 

 

Pendant la seconde guerre mondiale, il y a un homme qui ne se soucie pas explicitement de la guerre, c'est Matisse. Il entre dans une période de grande simplicité de la peinture et des couleurs, il rejoint la source enfantine de la peinture. Je crois que cet homme-là, par son travail, parce qu'un des effets de la peinture c'est de nous prendre le cœur et de le laver, a résisté contre le monde enténébré aussi bien que ceux qui prenaient les armes.

 

Christian Bobin3

 

 

 

Les sages chinois parlaient souvent du chemin du retour. Redevenir enfant, voilà leur ambition la plus profonde. Retrouver l'innocence avec laquelle un enfant découvre un monde infiniment plus grand que lui, avec qui il sait encore parler, jouer, en un mot : créer.

 

Jorn de Précy4

 

 

 

Mais l'expérience intellectuelle, menée à son terme, débouche sur une très haute valeur : la lucidité (....). Malheureusement, le lucide s'accroche à sa lucidité critique, s'y installe, se crispe dans un parti pris négatif, manque d'ouverture, de souplesse, s'enferme dans l'engourdissement de l'imagination et du cœur (…). Certes il voit clair mais il n'a plus rien à voir ! Il s'est enfermé, il s'est séparé ; sa négativité l'isole ; il ne communique plus. Au lucide, il faudrait opposer le regard limpide de l'innocent que la lumière traverse et qui sait l'accueillir.

 

Jean Onimus5

 

 

 

Ou, mieux, plutôt qu'opposer, peut-être pourrions-nous apaiser l'illusion de lucidité toute-puissante, en gardant toujours contact avec l'innocent.e en nous.

 

 

 

 

 

Aquarelle (détail)

8 août 2018

50 x 70 cm

 

 

 

 

 

 

 

Maintenant un haïku relevant de la plus pure tradition :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pissant dans la nuit

 

Oh !

 

Un vers luisant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et quelques autres approches presque aussi poétiques :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a cette fraicheur

 

cette grande fraicheur

 

au crépuscule et à l'aurore

 

(entre temps c'est une chaleur éprouvante)

 

 

 

Il y a la folie des mouches

 

(ou leur raison qui m'échappe)

 

tournant et tournant encore

 

apparemment sans fin

 

 

 

Et il y a ce rose orangé

 

si pâle

 

des rares nuages qui se dispersent

 

dans le ciel bleu du soir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Petite mouche sur le bord de mon bol

 

Elle aussi veut boire du thé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute la matinée cette mouche a bu mon thé

 

Et le croyez-vous ?

 

Pas un signe

 

pas un regard

 

rien

 

pas un merci.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin une dernière citation, de mon point de vue, stimulante :

 

 

 

Je ne suis pas philosophe mais je sais au-moins ceci : dans notre temps trop imbu de lui-même et de ses conquêtes, dans notre société où chaque activité semble destinée à créer de la richesse, à satisfaire des désirs presque toujours superflus, nous avons oublié un besoin, pourtant aussi essentiel que manger ou boire : habiter un monde pourvu de sens.

 

Jorn de Précy6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On retrouvera les citations dans les livres suivants :

 

 

 

  1. Dictionnaire de la sagesse orientale, Robert Laffont, Pages 178 et 495

  2. Jean Onimus, Qu'est-ce que le poétique ?, Poesis, Page 160

  3. Christian Bobin, Le plâtrier siffleur, Poesis, Page 2

  4. Jorn de Précy, Le jardin perdu, Actes Sud, Page 91

  5. Jean Onimus, Qu'est-ce que le poétique ?, Poesis, Page 29

  6. Jorn de Précy, Le jardin perdu, Actes Sud, Page 24